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Du kung-fu, du marxisme, des syndicalistes, des Gilets jaunes, dans une série TV grand public ? On croit rêver quand on découvre les descriptifs de la nouvelle série Machine, sur Arte. Lorsqu’on allume le téléviseur, c’est surtout par curiosité. On a tellement l’habitude des présentations misérabilistes des salariés au cinéma et de l’incapacité des scénaristes à les envisager s’organisant collectivement, qu’il est difficile d’imaginer une série présentant une lutte active, positive, porteuse d’espoir. Très vite, on est happé par cette série racontant l’histoire d’une jeune ancienne militaire des forces spéciales en cavale, qui se fait embaucher comme mécanicienne intérimaire dans une usine de produits électroménagers, et va rapidement aider les salariés à se défendre. Avec sa pratique du kung-fu, elle va se battre contre les patrons coréens qui veulent dépecer l’usine, mais aussi contre la police, contre une barbouze envoyée par Matignon, contre les skinheads d’extrême-droite payés pour casser la grève, etc. Cette série est à binge-watcher d’urgence sur le replay d’Arte.

« J’ai eu envie (…) de créer une série qui parlerait à mes enfants, leur montrant que la lutte des classes n’est pas un concept mort. Que la lutte des classes, c’est encore quelque chose de cool. Et pour mes filles, j’ai voulu l’incarner par une héroïne qui ne soit pas une victime, comme c’est souvent le cas au cinéma. », explique Fred Grivois, le réalisateur de la série Machine. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a réussi son objectif. L’héroïne interprétée par Margot Bancilhon est en effet tout sauf une victime. Cela est dû à sa capacité à se battre en mode Kill Bill (avec The Chemical Brothers en fond sonore) bien sûr, mais aussi à sa prise de conscience progressive de l’exploitation capitaliste et de l’importance de lutter collectivement. Elle passe peu à peu d’un combat pour sa vengeance personnelle à un combat pour l’émancipation collective. Cela lui permet de surmonter les difficultés de sa vie actuelle, ainsi que ses traumatismes passés. Elle doit cette évolution en grande partie à sa rencontre avec son collègue JP (interprété par Joey Starr), qui est sorti de sa dépendance à l’héroïne grâce à la lecture de Marx et à sa pratique du vélo.

Rarement une série aura autant cité Marx

Le syndicalisme à coups de poings

La grande force de la série, c’est que les multiples références à Marx ne sont pas gratuites. Le personnage joué par Joey Starr le cite certes abondamment (« Ce n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence sociale qui détermine la conscience », « Une idée devient une force quand elle s’empare des masses », « C’est dans la pratique que l’homme prouve sa vérité », etc.). Mais la série montre aussi véritablement le quotidien des salariés, l’exploitation qu’ils subissent, et met à jour, pour la première fois à ma connaissance dans une œuvre de fiction télévisée, des débats fondamentaux du syndicalisme. En particulier, les salariés hésitent entre deux lignes stratégiques face à la volonté de fermeture de l’usine par le groupe coréen qui la détient : tirer un trait sur l’outil de production et faire grève pour obtenir de meilleures indemnités de licenciements ou bien, comme le défend JP, reprendre l’usine en autogestion pour continuer à produire collectivement en cessant de se faire exploiter.

C’est dans la pratique que l’homme prouve sa vérité

Joey Starr… Citant Marx

Dans tous les cas, il faudra se battre. « Pour mes enfants, aujourd’hui, le syndicalisme, ce sont des gens qui font des merguez dans des manifs ! Moi, j’ai la conviction que le combat se fait à coups de poings », n’hésite pas à affirmer le réalisateur Fred Grivois. Dans la série, certains syndicalistes sont critiqués pour leur fatalisme, leur corruption, leur volonté de négocier à tout prix avec le patron. Mais la lutte collective prend le dessus et au global, le regard des créateurs de la série sur eux est bienveillant. Les personnages de la série ne sont pas univoques, ils ont des personnalités ambivalentes ; elle mêle ainsi le réalisme de certains comportements avec de nombreuses scènes de baston spectaculaire.

Dans “Machine”, le syndicalisme traditionnel en prend pour son grade, mais pas autant que le patronat

Jeff Bezos finance une série marxiste

Autour de l’usine où se déroule la série apparaissent également les Gilets jaunes, solidaires des grévistes, ainsi que les skinheads d’extrême-droite, payés par un envoyé de Matignon pour casser la grève. Quant au patronat, il est présenté sous ses différentes formes d’aujourd’hui : le dirigeant de l’usine, appartenant à la famille française qui a historiquement fondé l’entreprise, mais aussi les bourgeois coréens qui l’ont rachetée. Le fils du propriétaire coréen débarque ainsi en France pour résoudre le conflit social, mais ne sort jamais de son hôtel où il passe son temps à boire du thé et à peindre des croûtes, dans une bulle sociale que sa fortune entretient. La série ne manque également pas d’humour, sa présentation de la lutte des classes n’est ainsi jamais plombante, ni exagérément optimiste. Pour ceux qui n’auraient pas le temps de regarder Machine sur Arte, pas d’inquiétude, elle sera ensuite disponible sur la plateforme Amazon Prime, qui l’a coproduite. « On se réjouit de voir que Jeff Bezos a financé une série qui parle de réappropriation de l’outil de travail par le prolétariat », ironise son co-scénariste Thomas Bidegain, qui avec son comparse Fred Grivois a eu l’air de se faire bien plaisir en faisant cette série. Un plaisir décidément communicatif.


Guillaume Etiévant


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